L’interactivité est un point clé du E-Learning. En quelques années le terme ‘interactivité’ est devenu omniprésent, quitte parfois à ce qu’il soit utilisé bien trop généreusement.
Il nous faut déjà préciser que selon les supports numériques/audiovisuels la perception de l’interactivité peut changer. Prenons par exemple le secteur du web-documentaire (dont je viens au départ). Dans les pays anglo-saxons, on le nomme ‘interactive documentary’ ou ‘interactivo documental’ en Espagne. Sandra Gaudenzi, professeure associée à l’Université des arts de Londres a distingué trois niveaux d’interaction :
-semi-fermée (quand l’utilisateur peut naviguer sans changer le contenu)
-semi-ouverte (quand l’utilisateur peut participer sans pour autant changer la structure du documentaire)
-complètement ouverte (quand l’utilisateur et le documentaire changent constamment et s’adaptent l’un l’autre)
Certains professionnels du web-documentaire mettent en garde contre le simple clic, vu comme mécanique et amenant finalement une interactivité factice. Arnaud Dressen, co-fondateur de HonkyTonk (société de production spécialisée dans la conception de nouveaux formats) déclare : « ce n’est pas parce qu’on clique pour lancer un module que c’est interactif.«
Certes, me direz-vous, mais ces opinions sont celles des professionnels du web-documentaire, et non celles des professionnels du E-Learning. Ajoutons à cela que contrairement au web-documentaire, un module de formation doit obéir un tant soit peu à une certaine linéarité (point trop n’en faut évidemment) mais la progression de l’apprenant en nécessite tout de même.
Sauf que ces questions face à l’interactivité peuvent totalement s’appliquer au E-Learning, puisque dans l’un et l’autre cas, c’est la question de l’implication du ‘spect-acteur’ ou de l’apprenant qui se dessine en filigranes.
Prenons un exemple bien connu des formateurs : le quizz. C’est après tout un moyen très efficace de mesurer la bonne compréhension de l’apprenant. Néanmoins, si c’est la seule action que vous lui proposez, le terme ‘interactivité’ risque de s’apparenter à de la publicité mensongère.
Sur le même principe que la classification des web-documentaires selon leur degré d’interactivité, voici ce qu’elle pourrait donner si elle était appliquée au secteur du E-Learning:
-le degré zéro : face à des paragraphes entiers à lire, des vidéos et/ou graphiques à consulter, l’apprenant est passif. Il est plus que probable que sa faculté à se souvenir de ce qu’il a vu sera quasi inexistant. N’oubliez pas que le terme ‘interactivité’ est composé du substantif activité.
–interactivité limitée : on peut imaginer que l’apprenant est en mesure de faire par exemple des actions de type glisser/déposer, quand il a accès à des liens externes, à des menus ou graphiques cliquables
–interactivité modérée : le module de formation devra être plus personnalisable. Il peut par exemple y avoir des actions plus complexes de glisser/déposer, des narrations de type ‘livre dont vous êtes le héros’ (d’ailleurs, vous connaissez l’outil InkleWriter ?)
–interactivité poussée : dans ce type de formation, on est en droit d’attendre une scénarisation, un gameplay poussé (voire un jeu de simulation), un retour d’expérience de l’apprenant et pourquoi pas une manière de naviguer dans le module de formation moins linéaire et plus personnalisée: par exemple la création d’un avatar, la production de contenus (audio ou video), un ARG (pour plus d’informations voir notre article sur le transmedia et le E-Learning) ou d’une façon générale un vrai/faux jeu de piste sur Internet à la recherche d’une information. Bien évidemment, ce type de formation a un coût et n’est peut-être pas pertinente…
Entendons-nous bien : cette apparente liberté, prise de contrôle du module est à nuancer. Là réside en effet la magie de l’interactivité, magie puisque l’on se rapproche de l’illusion. Dans son article ‘L’interactivité : une définition introuvable‘, Catherine Guéneau affirme que : « Le choix étant toujours déterminé à l’avance par le concepteur du programme, il n’appartient que très superficiellement à l’utilisateur. Ce qui paradoxalement devait libérer le spectateur l’enferme bientôt dans un système clos où l’imposition d’un choix peut être tout aussi contraignante que son absence. Puisqu’il n’y pas de choix réel, tout l’enjeu consistera à alimenter l’illusion de choix (et par extension l’illusion de liberté). Tout est joué d’avance mais l’important c’est de faire oublier la fermeture du système en simulant l’ouverture […]«
En définitive, plus le degré d’interactivité est poussé, plus l’apprenant est en mesure de contrôler son module de formation. En réfléchissant à une réelle stratégie concernant l’interactivité, on augmente l’engagement de l’apprenant, puisque l’on créé de la curiosité. Egalement, l’on valorise et responsabilise l’apprenant qui est amené à faire des choix ( répondre à des quizz certes, mais aussi effectuer des choix de navigation, de consommation du module de formation etc.) C’est peut-être cette chance d’être responsabilisé, impliqué dans un processus d’apprentissage qui distingue aujourd’hui le E-Learning d’un simple cours en présentiel.
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